Birman en éxil
Au travers de cette saisissante série de photos en noir et blanc, le photographe reporter Matthieu Germain Lambert, nous fait part de son immersion engagée dans un camp de réfugiés Birmans en Thaïlande.
En 2012, quelques mois avant l’élection au parlement de Aungh San Suu Kyi, il témoignait du résultat de ces 50 années de dictature et de « nettoyage ethnique » qui semblaient, cependant, prendre le chemin de la démocratie après sa libération.
La décharge de Mae Sot, ville du nord-ouest de la Thailande, est située à environ 5 km de celle-ci et à deux pas de la Birmanie, appelée par la junte militaire, Myanmar « pays merveilleux ». Elle abrite un vaste centre de tri où sont autorisés à résider et travailler, une cinquantaine de familles Karens. Cette minorité tibéto-birmane, la deuxième plus importante des 135 ethnies officielles Birmanes, ayant vu 140 000 d’entre eux fuir en Thaïlande pour échapper à l’armée Birmane.
Mais c’est à un kilomètre de là, que Matthieu Germain Lambert élit résidence quelques mois durant, chez Freddie, le chef du « village » d’une vingtaine de familles qui tentent de survivre dans cette décharge annexe, où sont officieusement amassés des kilos d’ordures chaque jour. Ils habitent des abris de fortune construits en bambou et, adulte comme enfant, ils errent, pieds nus, sur ces montagnes de déchets à la recherche de métaux et plastiques à recycler, qui leur permettront de nourrir leur famille.
Les conditions de (sur)vie sont déplorables, l’humanité est meurtrie et l’enfance est abimée, mais des ONG tentent d’offrir un accès, bien que limité, aux soins et à l’éducation.
Ils n’ont pas la liberté d’aller ailleurs, encore moins celle de retourner sur leur(s) terre(s) d’origine d’où ils sont chassés et vivent constamment avec la peur de subir le même sort que plusieurs milliers d’entre eux. C’est le prix à payer pour fuir l’un des régimes les plus injustes et cruels de notre monde moderne.
En effet, à l’est du pays le long de la frontière Thailandaise, les activités illégales, comme le trafic de drogues, ainsi que le projet de construction de barrage sur la rivière Salween ou encore celui du Gazoduc par Total, montrent que cette région représente un enjeu stratégique et économique pour le gouvernement birman et son partenaire commercial, la Thaïlande, mais également pour d’autres gouvernements.
Depuis 1948 la junte militaire Birmane et la guérilla Karen KNU (Karen National Union) étaient en conflit, mais le cessez le feu de 2012 mettait fin à la guerre civile laissant, cependant, les karen sceptiques et méfiants face aux propos trop vagues, d’Aungh San Suu Kyi, sur les minorités ethniques.
C’est d’ailleurs en 2014, après deux ans de cessez-le-feu et de relative stabilité, que la présence militaire birmane s’est de nouveau renforcée, conduisant à plusieurs épisodes de violences envers, notamment, les Karens dans le district de Hpa An.
Les termes de « nettoyage ethnique » ou encore de « génocide » était utilisés pour parler des répressions faites à l’égard de cette minorité - 4 à 5 millions de Karens initialement répartis à 90% en Birmanie et 10% en Thailande - par la junte militaire Birmane, le SPDC (State Peace and Development Council). Meurtres, viols, déplacements forcés, confiscation de terres, travail forcé… La population karen subit de nombreuses violations des droits de l’homme, qualifiées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Ces violences ciblent les Karens, comme elles ciblent d’autre ethnies, pour leur appartenance ethnique mais également religieuse, la majorité étant animistes néanmoins beaucoup furent convertis au Christianisme durant le 20e siècle par des missionnaires occidentaux.
Ces mots raisonnent encore aujourd’hui, 5 ans plus tard, pour décrire le sort connu par les Rohingyas, minorité Birmane « non officielle » cette fois, car ne pouvant justifier d’une présence sur le sol Birman avant la colonisation britannique en 1823. Cette communauté musulmane, considérée apatride depuis 1982, compte environ 1,3 millions de personnes, est considérée par l’ONU comme l’un des peuples les plus persécutés au monde.
Un peu plus d’un an après l’arrivée au pouvoir d’Aungh San Suu Kyi, avec la victoire aux élections legislatives, du LND (Ligue Nationale pour la Democratie), la « Dame de Rangoun » reste murée dans le silence face aux atrocités perpetuées, et l’ONU dénonce un « crime contre l’humanité » envers ce peuple opprimé, le 13 mars dernier.
Cependant, la Birmanie (Myanmar), très longtemps fermée, s’ouvre progressivement. Mais dans quelles conditions ?